9 avril 2025 Constance Marechal-Dereu

Interviews : guerre commerciale, droits de douane et logistique

Compte-rendu des interviews à l'occasion du SITL 2025

Avril 2025 – A l’occasion du SITL 2025, Anne-Marie Idrac a répondu aux questions des journalistes sur BFM Business, le 1er avril, et sur France 24, le 2 avril. Voici le compte rendu de ces deux échanges.

 

Mardi 1er avril 

BFM Business – Le grand entretien : « Le secteur de la logistique sous pression »

Le mardi 1er avril 2025, Anne-Marie Idrac, Présidente de France Logistique, a été invitée à répondre aux questions de Laure Closier et Raphaël Legendre.

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Le sujet numéro un du moment est la guerre commerciale : comment la logistique se prépare-t-elle à ces questions de douane ? Est-ce que des difficultés ont été identifiées, notamment pour les PME ?

Le terme « logistique » vient de l’art de la guerre ; sa mission est d’acheminer les bons produits, au bon endroit, au bon moment, et dans les meilleures conditions.

Actuellement, le tissu logistique français est fragilisé par la crise : le niveau de défaillances de petites entreprises dans le secteur du transport routier est historiquement élevé.

Mais la logistique est un secteur qui sait s’adapter et faire preuve d’agilité dans toutes les situations. Nous avons les atouts et capacités pour faire face.

Lors du SITL nous parlerons beaucoup de résilience : celle de la filière en tant que telle, et plus encore de ses contributions à la résilience de toute l’économie.

 

Est-ce que la guerre commerciale et le « liberation day » annoncé par le président des Etats-Unis représentent un risque systémique pour la logistique ? 

La guerre commerciale constitue une menace pour toute l’économie ; la logistique sera touchée directement parce que ses clients industriels le seront dans certains secteurs, et globalement parce que la croissance risque d’être fragilisée.

Notre filière joue un rôle essentiel face à la complexification générale des chaines d’approvisionnement : nous savons mettre en œuvre les meilleures solutions pour organiser et optimiser l’acheminement des produits.  C’est le cas notamment pour les échanges intra-firmes qui représentent une proportion importante des flux internationaux de marchandises.

Ce phénomène nous pousse ainsi à trouver de nouveaux circuits d’approvisionnement et de nouvelles voies de passages.

Nous le faisons aussi avec les conflits géopolitiques, par exemple dans la mer Rouge, ou le contournement aboutit à un délai plus long d’une dizaine de jours et entraine une augmentation des prix des assurances.

Il faut être astucieux et résilient pour trouver les meilleurs systèmes d’approvisionnement.

En plus des droits de douane, il faut se soucier des obstacles non tarifaires, avec la différentiation des normes et la complexité qui s’ensuit : les logisticiens sont habitués à faire preuve de résilience, d’agilité et d’innovation.

 

Deux tiers des personnes interrogées par Capgemini indiquent que leur entreprise étudie une stratégie de réindustrialisation. Constatez-vous un mouvement de régionalisation ou de relocalisation qui nécessite de faire bouger des chaines logistiques entières ? 

Les entreprises qui ont créé des usines à l’étranger ne les relocaliseront pas en Europe du jour au lendemain. On peut plutôt dire que l’on assiste à une régionalisation de la mondialisation. On observe également un phénomène de diversification des fournisseurs. Plutôt que d’en avoir un ou deux en Chine, on se tourne vers de fournisseurs du bassin méditerranéen ou en Asie du Sud-Est.

Ce qui signifie qu’il faut plus de logistique, plus d’endroits ou stocker et plus de transport.

Pour le secteur, il y a là la possibilité de montrer notre capacité d’adaptation. Ce qui a été fait avec le Covid sera refait de manière encore plus structurelle lorsque les plaques régionales deviendront plus fermes dans l’économie.

 

On a beaucoup connu la production en temps réel. Aujourd’hui, est-ce qu’il faut plus d’entrepôts en France ?

Parler de logistique revient à parler de l’organisation des stocks et des flux. On ne peut pas imaginer une usine qui ne serait pas à côté des stocks de pièces détachées, des intrants ou des produits semi-finis.

Si trop d’entrepôts sont placés à l’étranger, il y a un risque pour la résilience de l’économie française. Malheureusement, la difficulté en France est que l’implantation des entrepôts est longue et compliquée. La complexité du monde extérieur devrait pourtant nous pousser à simplifier les procédures en France.

Il faut être très attentif sur les sujets de simplification. Dans le cadre de l’examen du projet de loi simplification, certains parlementaires essaient paradoxalement d’imposer des complexités supplémentaires.

 

Est-ce que la France est anti-entrepôts ?

Il y a une mauvaise compréhension de ce que sont les entrepôts. C’est en réalité un endroit qui sert de zone intermédiaire entre plusieurs étapes de production et de livraison.

Si la France veut être réindustrialisée, cela ne pourra pas se faire sans entrepôts. Il faut aussi se questionner au sujet de la distribution urbaine, car faire venir les marchandises de très loin n’est bon ni pour l’économie, ni pour l’écologie.

Dans tous ces questionnements, il y a une forte dimension politique. Pendant le Covid, l’opinion publique a pris conscience de l’importance de la logistique, des entrepôts et des camions.

 

Où en est la décarbonation ?

La décarbonation est un objectif qui tout le monde partage, mais qui est long et compliqué. Il y aura toujours une grande majorité de camions, même si on espère que la part de marché du fer pourra atteindre les 20%. Dans le monde entier, le mode routier majoritaire restera le camion.

Pour décarboner, il faut agir sur les motorisations, en se dirigeant vers l’électrification. Aujourd’hui, un camion électrique coute trois fois plus cher qu’un camion diesel, et le système de bornes d’alimentation n’est pas au point.

Il faut aussi agir sur la massification. Certes, par le transfert de la route vers les chemins de fer et la voie d’eau, mais aussi avec un meilleur remplissage des camions, l’optimisation des circuits, la réduction des retours à vide. Beaucoup de solutions d’innovation sont de l’ordre de l’organisation.

En résumé, la décarbonation repose sur 3 M :

  • Le maillage : des entrepôts bien placés pour éviter des couts écologiques et économiques ;
  • La massification ;
  • La motorisation.

 

Mercredi 2 avril

France 24 – L’INFO ECO : « Droits de douanes réciproques des Etats-Unis, le secteur logistique sous pression »

Le mercredi avril 2025, Anne-Marie Idrac, Présidente de France Logistique, a été invitée à répondre aux questions de Christophe Dansette.

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Qu’est-ce que la logistique ?

La logistique est un mot qui vient de l’art de la guerre, qui désigne toute l’organisation nécessaire pour acheminer des biens au bon endroit, au bon moment et dans les meilleures conditions. Bien sûr, la logistique fonctionne mieux quand le commerce est fluide, sans les perturbations actuelles.

 

Dans les allées du SITL, tout le monde doit être suspendu à l’annonce de ce soir sur les droits de douane réciproques que les Etats-Unis devraient mettre en place.

Le secteur, comme toute l’Europe, est fragilisé en ce moment, à la fois par les tensions de l’industrie et par les difficultés de pouvoir d’achat. Les entreprises de notre secteur connaissent un taux de défaillance très important. Et nos grands logisticiens qui travaillent à l’international doivent, encore une fois, montrer leur capacité d’adaptation.

 

La guerre commerciale qui s’annonce représente-t-elle un risque systémique pour la France ? Pour le consommateur, les choses vont-elles changer ?

Beaucoup de secteurs vont être impactés. Les produits seront plus chers, l’acheminement sera plus compliqué, c’est mauvais pour toute l’économie, en Europe et aux Etats-Unis.

Bien sûr, les consommateurs seront touchés. Le droit de douane est un impôt, et quand les impôts augmentent, tout devient plus cher. C’est pour cela qu’il y a encore une grande incertitude aux Etats-Unis sur ce qui va se passer.

En supplément de la guerre commerciale sur les droits de douane, je crains une guerre sur les standards et les normes. Remplir des  documents différents, contourner les systèmes normatifs différents, toutes ces obligations rendent les choses plus compliquées, et les choses compliquées sont plus chères. On l’avait vu lors du Brexit. C’est l’un des intérêts du marché unique de l’Union européenne, la simplicité.

Bien sûr on s’adaptera, mais ce sera difficile et couteux.

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